• Originaire de Normandie, j'ai si souvent emprunté les ponts qui enjambent la Seine que je ne m'étonnais plus de leur présence. Pourtant, lors d'un vol en montgolfière (effectué en famille en octobre dernier), il m'a été donné de survoler les trois célèbres ponts que sont le pont de Tancarville, le pont de Brotonne, et celui de Normandie. Lors de ce vol déjà exceptionnel, j'ai été frappé par la beauté de ces ponts extraordinaires, et l'incroyable audace qui a présidé à leur construction. Et désormais, chaque fois que je retourne en Normandie pour y voir la famille, je m'émerveille devant ces ouvrages qui sont de véritables oeuvres d'art. Autrefois, la Seine était un obstacle aux échanges entre les deux rives. Seuls de petits bacs poussifs assuraient le passage, ce qui limitait singulièrement la circulation. Imaginez donc : le premier pont après la mer enjambait la Seine à Rouen ! Puis le trafic est devenu si dense, les embouteillages ont été si insupportables que se sont imposés, au cours du XXe siècle, ces trois incroyables merveilles architecturales, chacune plus audacieuse que la précédente. Le premier chantier, celui de Tancarville, a débuté en 1955 et duré quatre bonnes années avant que Le Havre et Rouen y trouvent leur profit. C’est alors le plus grand pont suspendu d’Europe, avec une travée centrale de 608 mètres, une longueur de 1400 mètres, et une hauteur de 50 mètres au-dessus de l’eau, a fait son apparition. Le pont de Brotonne, élégant pont à haubans inauguré en 1977, répondait quant à lui avant tout à un besoin local : désenclaver la boucle de la Seine coincée entre le fleuve et la forêt domaniale. Mais la véritable prouesse technologique, en ce domaine, reste évidemment sans conteste le pont de Normandie. Situé à 12 kilomètres en aval de Tancarville, c’est l’enfant des ordinateurs. Tout y est démesuré : sept ans de travaux (entre 1988 et 1994), jusqu’à 1000 personnes sur le chantier, 2141 mètres de longueur, 52 mètres au-dessus de l’eau, 92 paires de haubans pour soutenir l’énorme tablier, 856 mètres de traverse centrale (soit le record mondial durant quatre ans). Cet ouvrage d’ampleur internationale assure la continuité autoroutière vers le nord de l’Europe et vers le sud-ouest de la France et la péninsule ibérique. Il constitue certes un gain de temps entre Le Havre et Honfleur (vingt minutes). Mais il vaut surtout pour le spectacle qu'il offre. Voir de ses yeux cet ouvrage d’art, qui défie la pesanteur avec ses tonnes de béton, laisse déjà sans voix depuis la terre. Mais depuis les airs, à bord d'une montgolfière, le travail de titan apparaît encore plus incroyable. Pour en savoir plus, je vous donne le lien vers cet organisateur de vol en montgolfière.

    Trois trésors normands au-dessus des flots


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  • Dominique Strauss Kahn aurait dû nous déprendre de cette institution qui nous domine : la présidence de la République. S’il avait été élu, l’Elysée serait devenu un lupanar. La semi-fiction peut être prolongée. Pourquoi n’élirait-on pas un président fatigué par de longs combats politiques et seulement capable de « jouir du pouvoir », ou bien un candidat soucieux d’échapper à des poursuites judiciaires, voire un chef de gang ayant jeté son dévolu sur l’Etat ? Sans aller aussi loin dans l’élection de « mauvais » candidats, la succession des derniers présidents français ne rassure pas complètement. En tout cas, les échecs, les ratages, les gaffes et les scandales ont amené à poser la question d’une nouvelle constitution à travers l’appel à une Constituante ou à une VIe République [1]. On avait tant célébré la Ve République qui avait donné la stabilité et l’efficacité qu’on s’étonne du changement de ton. La protestation se focalise-t-elle sur les institutions faute de pouvoir atteindre des causes plus profondes et hors de portée ? Probable. Et sur l’institution la plus visible ? Probable. A condition toutefois de comprendre qu’il serait trop simple et insuffisant de ne s’en prendre qu’à lui, on ne saurait exempter le présidentialisme d’une critique d’autant plus radicale qu’elle est ancienne… et prémonitoire [2] Où sont nos « bonnes institutions » ? Lire Jeremy Mercier, « La démocratie entre ruines et reconstruction », Le Monde diplomatique, janvier 2008.L’expression des « bonnes institutions » était celle de leur fondateur. Elle était trop floue pour être celle d’un expert du droit — ce que le général de Gaulle n’était pas — mais pas celle d’un officier formé par les lettres classiques. En ce temps où les élites politiques étaient cultivées, les auteurs classiques nourrissaient l’action et la pensée. L’inspirateur lointain du grand homme était Polybe. L’historien grec, otage de Rome pendant 17 ans et rallié à l’impérialisme romain, considérait les bonnes institutions comme la clef de la domination universelle de Rome, à peine installée au IIe siècle avant notre ère et qui se prolongerait plusieurs siècles. Polybe se proposait donc de « discerner et comprendre comment et grâce à quelles institutions les Romains sont parvenus, en moins de cinquante-trois ans, à étendre leur domination sur la quasi-totalité de la terre habitée, ce qui constituait un fait sans précédent » (Histoires, VI, 2,3). Les bonnes institutions expliquaient aussi bien les victoires ponctuelles que le destin de Rome : « ce sont essentiellement les qualités particulières de leurs institutions qui non seulement permirent aux Romains d’établir leur domination sur les Italiens et les Siciliens, et de soumettre en outre les Ibères et les Gaulois, mais qui encore, lorsqu’ils furent sortis vainqueurs de leur guerre contre les Carthaginois, les incitèrent à étendre leur visées au monde entier » (I, 2, 6). L’affaire n’était pas achevée mais les « bonnes institutions » garantissaient la suite. Polybe reprenait ainsi une ancienne réflexion sur la meilleure constitution de la cité grecque. Le terme « constitution » doit être compris non seulement au sens de corpus des règles politiques mais aussi comme l’ensemble des mœurs de la cité. Polybe ne parlait donc pas seulement des règles politiques de Rome mais des vertus des Romains de la République. Ce n’était assurément pas la conquête du monde que devaient apporter les bonnes institutions sur lesquelles planchaient les futurs rédacteurs de la Constitution — déjà pendant la Seconde guerre mondiale (avec le rapport du Comité Général d’Etudes réuni à partir du début de l’année 1943), après la guerre (avec le discours de Bayeux de 1946) et a fortiori dans le processus d’élaboration de l’été 1958 — mais bien l’instauration d’un régime politique renforçant l’exécutif contre le parlementarisme et donc assurant à la fois l’autorité politique par le renforcement de l’exécutif — un thème banal depuis l’entre-deux-guerres — et la stabilité gouvernementale, pour en finir avec l’incurable valse des ministères.


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  • Douze personnes ont été assassinées le 7 janvier 2015 dans l’attaque du journal Charlie Hebdo. Dans les guerres comme dans les attentats, chaque fois que la violence humaine tue volontairement, la question resurgit : pourquoi meurent-ils ? Il en va ainsi depuis que l’on ne peut demander de sacrifices sans leur donner du sens, comme dans les grands conflits depuis la guerre du Péloponnèse jusqu’aux guerres mondiales, et que la sensibilité exige que l’on ne puisse plus se résoudre à des morts pour rien. Les douze personnes prennent place dans la longue série de l’héroïsme civique, tel qu’il s’est construit au 19e siècle dans les révolutions et les luttes pour la démocratie. Comme un irrémédiable scénario tragique de l’histoire, on en retrouve tous les éléments avec d’abord les morts qui se savaient menacés, les collaborateurs de Charlie Hebdo, mais aussi indirectement ceux qui ont perdu leur vie en protégeant les premiers comme les policiers. Il est bien clair que dans la rédaction collectivement visée, à en croire la revendication des tueurs – « On a tué Charlie Hebdo » –, les dessinateurs de presse étaient davantage visés car les dessins parlent un langage universel. Ces hommes et femmes étaient engagés dans une cause dont ils savaient les risques. Ils en payaient les coûts ordinaires de la peur pour soi et les proches, manifestant ainsi un courage physique de longue haleine. Ils ont eu aussi des mots sublimes qui sont à la fois la prémonition et le sens du sacrifice. S’agissant des humoristes de Charlie Hebdo, on n’a que l’embarras du choix. Au XIXe siècle était restée célèbre cette phrase du député Alphonse Baudin, avant qu’il meure sur la barricade le 3 décembre 1851, par laquelle il répliquait à ceux qui lui rappelaient qu’il était bien payé comme parlementaire : « vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ». Cela lui valut l’admiration, comme devrait la susciter le dernier dessin de Charb, directeur de publication de Charlie Hebdo, s’étonnant qu’il n’y ait pas eu d’attentat en France en ce début d’année 2015, un islamiste répondant que pour les vœux, « il avait jusqu’à la fin de janvier ». Le lendemain intervenait la « belle mort » selon les termes qu’on employait aussi au XIXe siècle et qu’on hésite aujourd’hui à employer tant la mort est devenue taboue. Peut-être certaines personnes assassinées n’auraient-elles d’ailleurs pas récusé cette belle mort tant leurs visions ont été pétries d’héroïsme civique. On a évidemment remarqué que la revendication d’héroïsme s’était immédiatement exprimée chez les assassins. Quel héroïsme y a-t-il à tuer avec des fusils d’assaut des professionnels de la plume hostiles à la violence ? On aurait tort de succomber aux faiblesses du relativisme. L’héroïsme des djihadistes s’ancre aussi dans l’histoire, mêlant à celui des guerriers le martyre religieux. Or plutôt que de renvoyer dos à dos toutes ces revendications, il faut remarquer que l’héroïsme civique s’est justement constitué contre les héros guerriers et religieux, les premiers rangés par Voltaire au rang de « saccageurs de province », les autres au rang de fanatiques. Les vrais héros, ont pensé les jansénistes puis les philosophes des Lumières, étaient les hommes se sacrifiant pour une juste cause. Ce sont aussi les assassins, les tortionnaires, qui les désignent comme tels. Charlie Hebdo, ce n’est pas faire injure aux victimes qui y ont participé indirectement ou autrement, se distingue par ses dessins et son humour. Les assassins ont ainsi montré ce qui les a dérangés : la caricature et l’humour. De quoi laisser humbles ceux qui ont la plume mais pas le trait pour exprimer les révoltes. De quoi rappeler chacun à ne pas s’abandonner à la colère méchante quand l’humour la soigne, la sert, avec tant d’efficacité. De quoi encourager ceux qui désespéraient de l’utilité de leurs combats de plume dans un monde dominé par le cynisme et le matérialisme.


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  • La semaine dernière, un séminaire à Cannes où j'avais été envoyé s'est terminé plus tôt que prévu, et j'ai ainsi pu profiter, non seulement du rester de la journée, mais également de tout le week-end sur place ! J'ai donc loué un véhicule et me suis mis à suivre la côte pour découvrir la région. C'est ainsi que mes pas (ou mes roues, c'est selon) m'ont conduit jusqu'à l'île de Port Cros : une petite merveille enchanteresse. Côté mer ou côté terre, cette petite île colonisée par les Grecs sait en effet nous enchanter. Et comme je l'ai découvert sur place, je n'étais pas le seul. André Malraux, André Gide, Saint-John Perse, Paul Valéry, des habitués du lieu, l'ont bien compris avant moi. Partageant avec Porquerolles et Le Levant le titre d'île d'or, elle possède l'immense privilège de disposer du premier parc national marin d'Europe. Un éden aquatique bien protégé où cohabitent des centaines d'espèces animales et végétales, qui méritent à elles seules un baptême de plongée. La mer étant un peu houleuse pour une telle activité, je mse suis plutôt aventuré dans ce paradis resté sauvage. J'ai gravi le mont Vinaigre, le plus haut sommet de l'île, pour avoir un aperçu grandiose de cette nature. Aux forêts de chênes et de pins succèdent des massifs escarpés, des petites criques secrètes pour ceux qui veulent se retirer presque totalement de la civilisation: Port-Cros dévoile ses plus beaux atours avec parcimonie et discrétion. Une fois parcourus ses sentiers parfumés des odeurs du maquis, j'ai vécu un séjour des plus agréables à l'hôtel Le Manoir, situé à quelques encablures du port local. Implantée au cœur d'un domaine vaste de deux hectares, l'ancienne habitation des propriétaires de l'île est en harmonie totale avec la nature environnante. La blanche résidence, de plus, livre une parfaite synthèse des joies et plaisirs que l'on est susceptible de rencontrer à Port-Cros. Elle offre à ses résidents un jardin que surveillent d'imposants palmiers et des eucalyptus bercés par le mistral et aux visiteurs de passage des tables dressées, suivant la météo, sur la terrasse-prairie ou sur la terrasse-mer avec vue sur la baie. Le site est incroyablement romantique, et mon seul regret aura consisté à y dîner en solitaire. Mais je garde cette adresse en tête, si je me rends en vacances dans la région, accompagné de ma douce et tendre. Je vous laisse le contact de ceux qui ont organisé ce séminaire entreprise qui s’est superbement passé. J’en redemande.

    De Cannes à Port-Cros : itinéraire d'un séminariste gâté


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  • Ce texte est tiré d’une intervention à la soirée « La dissidence, pas le silence ! », organisée par le journal Fakir à la Bourse du travail à Paris le 12 janvier 2015. Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. Il faut sans doute en prendre son parti, car il y a un temps social pour chaque chose, et chaque chose a son heure sociale sous le ciel : un temps pour se recueillir, un temps pour tout dire à nouveau. Mais qu’on se doive d’abord à la mémoire de ceux qui sont morts n’implique pas, même au plus fort du traumatisme, que toute parole nous soit interdite. Et notamment pour tenter de mettre quelque clarification dans l’inextricable confusion intellectuelle et politique qu’un événement si extrême ne pouvait manquer, en soi, de produire, à plus forte raison sous la direction éclairée de médias qui ne louperont pas une occasion de se refaire la cerise sur le dos de la « liberté d’expression », et de politiques experts en l’art de la récupération. Disons tout de suite que l’essentiel de cette confusion se sera concentré en une seule phrase, « Je suis Charlie », qui semble avoir tout d’une limpide évidence, quand tant d’implicites à problème s’y trouvent repliés. « Je suis Charlie ». Que peut bien vouloir dire une phrase pareille, même si elle est en apparence d’une parfaite simplicité ? On appelle métonymie la figure de rhétorique qui consiste à donner une chose pour une autre, avec laquelle elle est dans un certain rapport : l’effet pour la cause, le contenu pour le contenant, ou la partie pour le tout. Dans « Je suis Charlie », le problème du mot « Charlie » vient du fait qu’il renvoie à une multitude de choses différentes, mais liées entre elles sous un rapport de métonymie. Or ces choses différentes appellent de notre part des devoirs différents, là où, précisément, leurs rapports de métonymie tendent à les confondre et à tout plonger dans l’indistinction.


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